Au Châtelet, la scène libère des voix oubliées
- félicité Dussel
- 19 avr.
- 4 min de lecture
Les 19 et 22 septembre, au théâtre du Châtelet, détenus et ex-détenus, hébergés du Samu social et jeunes femmes de la Maison perchée ont partagé leur histoire sur scène. Une façon pour eux de se dévoiler autrement, voire de se réinventer.

« Des années durant, elle m’a manqué, et son amour aussi. Puis toi, en prison, tu as nommé ce vide : carence affective. Un sentiment profond qui m’a tant empêché d'avancer. ». Ces lignes, qui résonnent comme un journal intime entre les vastes murs du théâtre du Châtelet, ouvrent Krush, la nouvelle pièce de Paradox Palace, jouée les 19 et 22 septembre.
Sous la direction d’Olivier Fredj, la troupe explore cette année les relations humaines à travers des récits marqués par l’enfermement, la précarité ou la maladie. Pour cause, elle est composée d’ex-détenus, d’hébergés du Samu social et de jeunes femmes aidées par la Maison Perchée - une association pour les jeunes adultes vivant avec un trouble psychique, à la fois auteurs et interprètes de leur texte.
Deux jours avant la premières, ils répètent dans une ambiance électrique. “Plus fort !”, martèle Olivier Fredj, cheveux ébourrifés et cernes marqués en s’adressant à Bizon, ex-détenu aux petites lunettes rectangulaires. En se raclant la gorge, Bizon reprend son monologue à partir du début, la tête et le torse davantage pointés vers le plafond.
Montée il y a trois ans, la compagnie repose sur deux paris principaux : « donner une grande scène à des voix qui se rencontrent peu » et « permettre aux participants de se réinventer », explique Olivier.

Pour Lison, 25 ans et chevelure blonde infinie, l’écriture l’a aidé à surmonter un traumatisme amoureux. « Ma lettre est à destination d’un fantôme qui me stigmatisait à cause de ma maladie », confie celle qui est accompagnée par la Maison perchée. « J’ai survécu au viol, aux menaces de mort, à la folie mais face à ton silence je suis brisée », explosera-t-elle sur scène accompagnée de notes de piano au rythme crescendo. « Super, scène suivante », expédie Olivier.
« le Samu social ça fait mal aux oreilles »
Chacun des textes interprétés durant près de deux heures sont le fruit de plusieurs mois de correspondances et d’ateliers d’écriture organisés dans les différentes structures. Vicky, hébergée du Samu social, y a participé par curiosité, mais la scène l’intimidait : « Se dévoiler devant les gens ça fait peur ». « Pour beaucoup, le Samu social ça fait mal aux oreilles ». La jeune femme au charisme brut s’est pourtant prise au jeu : « Ton parcours c’est toi, il faut en faire quelque chose », affirme-t-elle en balançant ses mains ornées d’un vernis rose fluo et de bagues dorées. Sur scène, elle raconte sans détour la violence tapie derrière les murs du Samu social, mais aussi l'amour qui peut, malgré tout, y prendre racine. En dehors de la scène, elle rigole avec Bizon. « L’année dernière j’étais occupé à gérer des galères mais cette année je viendrai plus souvent aux ateliers d’écriture du Samu social » promet celui qui a cumulé 17 années derrière les barreaux en approchant son verre de celui de Vicky.
Occupé, Bizon risque pourtant de l’être encore pour un moment. Lui qui a rejoint la compagnie il y a trois ans prépare déjà sa première pièce et s'investit dans une association du XIXe arrondissement de Paris « Je veux offrir aux jeunes de quartier autre chose que le foot ou le rap. » Il sourit, amer : « J’ai grandi face à un théâtre sans jamais y entrer. Il a fallu la prison pour qu’on m’en ouvre enfin les portes. »

Bizon, Vicky, Lison, Haiss.. le dernier jour des répétitions la troupe n’affiche pourtant pas complet. Sofiane, le « poète du groupe », comme le surnomme ses camarades est encore détenu à la prison de Meaux. Jeudi, c’est grâce à une permission de sortie, obtenue in extremis, qu’il a pu livrer son texte. « Je voudrais changer de planète ou même de galaxie, j’en ai marre de ce monde et puis d’y etre ainsi. Déçu de moi même et de tout, de faire que des détours. Les menottes assis sans lacets, ça y’est j’en suis lassé ». Ce cri du cœur, écrit au mitard - la prison dans la prison - d’où en principe rien ne sort, résonne dans les oreilles des 2 000 spectateurs. À la fin de la représentation, Sofiane prend son fils dans ses bras et embrasse sa femme, les trois sont en larmes. Il repartira le soir même en détention.
Pourtant, il célèbre une victoire intérieure. « Aujourd’hui j’ai enfin réussi à faire parler de moi autrement qu’autrefois », dira-t-il en reprenant les mots d’Oxmo Puccino.
Avec un sourire satisfait, Alphonse, ancien détenu, confiera que Lison a, quant à elle, bloqué de tous les réseaux, le fantôme à qui elle adressait sa lettre sur scène.

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