Revue littéraire : Le ventre de l'Atlantique, Fatou Diome
- félicité Dussel
- 24 nov. 2023
- 4 min de lecture

À travers les pages du “Ventre de l'Atlantique" Fatou Diome nous transporte de la rudesse de l'hiver strasbourgeois à la douce brise effleurant les cocotiers de l'île de Niodor. C'est sur cette petite parcelle de terre sénégalaise que l'autrice, âgée de 32 ans lorsqu'elle écrit le roman, a vu le jour et a grandi. Exilée en France, elle dévoile un récit poignant, explorant le mal-être universel de tout être humain déraciné.
L'œuvre de Diome sert de passerelle entre les réalités de l'exil, les nuances de la vie en France, et les conditions des immigrants en Europe, tout en explorant la perspective de ceux qui demeurent en Afrique. Au cœur de cette narration, l'autrice nous dévoile les mystères de sa terre natale, évoquant les marabouts, les coutumes ancestrales, la surnatalité, et les croyances dépassées.
Diome n'hésite pas à critiquer certains aspects de son village d'origine, pointant du doigt le manque d'ambition des femmes, élevées uniquement à être mères, et l'unique ambition des hommes à multiplier les unions sans se soucier des fils et des filles qu’ils ont mis au monde. Pourtant, la nostalgie prend souvent le dessus en revisitant les souvenirs qui résonnent dans les méandres de sa mémoire. Une mélancolie qui la relie à son histoire.
“Mon stylo, semblable à une pioche d’archéologue, déterre les morts et découvre des vestiges en traçant sur mon coeur les contours de la terre qui m’a vue naître et partir. Des faits qui jadis ne retenaient guère mon attention, je compose maintenant mes nourritures d’exil et, surtout, les fils tisserand censés rafistoler les liens rompus par le voyage. La nostalgie est ma plaie ouverte et je ne peux m’empêcher d’y fourrer ma plume. L’absence me culpabilise, le blues me mine, la solitude sèche mes joues de sa longue langue glaçée qui me fait dons de ses mots”.
Naviguant entre la France et la petite île de Niodor, l'autrice exprime son propre sentiment d'identité hybride, consciente qu'elle ne sera jamais totalement sénégalaise ni totalement française. Cette quête perpétuelle d'un lieu d'accueil résonne comme une triste réalité qu’elle dépeint comme commune à tous les immigrants, quelles que soient leurs origines.
“Chez moi? Chez l’autre ? Être hybride, l’Afrique et l'Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur appartient. Je suis l’enfant présenté au sabre du roi Salomon pour le juste partage. Exilée en permanence je passe mes nuits à souder les rails qui mènent à l’identité. L’écriture est la cire chaude que je coule entre les sillons creusés par les bâtisseurs de cloisons des deux bords.”
La France, terre d'accueil, a un goût amer pour Fatou Diome. Elle se souvient. Son frère, Madické, était résigné à la rejoindre pour entrer dans un club de foot, devenir un champion et gagner des millions : l'argent, synonyme d'ascenseur social, était censé faire des miracles. Les incessants appels téléphoniques de Madické, sollicitant qu'elle finance son billet d'avion pour la France, deviennent alors l’unique lien qui la raccroche à sa terre natale. Fatou réussit finalement à le dissuader, peinant à faire comprendre à ses proches que cette France tant idéalisée ne surpasse pas la valeur de leur petit coin de terre, Niodor.
Exilée en France elle sait. Elle que le racisme y est toujours vivace, que le chômage y est bien présent et que, sans papiers et sans qualifications, la course à l'emploi est une chasse au trésor qui mène le plus souvent au poste de police. Après un petit séjour en cellule on vous remet finalement votre trésor, "une IQF, une invitation à quitter la France" (ancêtre de l’OQTF). Elle sait aussi que, "Blottis sous les ponts ou dans les dédales du métro, les SDF doivent parfois rêver d'une cabane en Afrique."
Au pays, pourtant, les récits prophétiques de “l'Homme de Barbès”, natif de l’île qui s’est exilé à Paris, nourrissent l’imagination des jeunes sénégalais. Charmés par ces contes, ils s'entrainent alors chaque après-midi sur le terrain de foot. Le ballon de football devenant leur billet vers un univers de possibilités. Pourtant, ce ne sont bien que des contes et la réalité de l'émigré est tout autre. “Il avait été un nègre à paris et s’était mis, dès son retour, à entretenir les mirages qui l’auréolaient de prestige". Fatou Diome ne lui en veut pas, elle reconnaît : “l’orgueil identitaire est la dopamine des exilés”.
Au cours de son récit, le ballon rond est utilisé comme un fil rouge et une métaphore puissante. “Mieux que le globe terrestre, le ballon rond permet à nos pays sous développés d’arrêter un instant le regard fuyant de l’Occident, qui, d’ordinaire, préfère gloser sur les guerres, les famines et les ravages du Sida en Afrique, contre lesquels ils ne seraient pas prêts à verser l’équivalent d’un budget de championnat”.
Il est celui a travers lequel les jeunes de l’île matérialisent leurs ambitions : devenir de grands joueurs de football pour intégrer l’équipe de France et dîner à la table du Président de la République.
Mais Diome n’a de cesse de le répéter à ces jeunes à l’esprit gonflé d’espoir : “En Europe, mes frères, vous être d’abords noirs, accessoirement citoyens, définitivement étrangers et ça, ce n’est pas écrit dans la Constitution, mais certains le lisent sur votre peau”.
Finalement, Fatou Diome, utilisant sa propre expérience, aborde les différents problèmes liés à l'émigration et à l'immigration, sans langue de bois, sans épargner personne. D'une franchise absolue et avec beaucoup d'humour, elle dénonce aussi bien les indélicatesses de la France et son racisme perfide, que le poids du devoir qui accompagne la vie sur son île, une vie âpre et dédiée au partage. En comparaison, la vie occidentale et sa culture de l'individu libère des contraintes de la communauté mais en contrepartie confronte à "l'ultra moderne solitude"...
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